SCIENCES
Tara est partie! Rendez-vous en 2018 à Lorient
Lorient – Publié le
Il y avait foule pour le départ de la goélette scientifique Tara. L’équipage est parti sous les applaudissements, en fanfare et après un haka. Retour à Lorient en 2018.
Des centaines de personnes ont assisté, ce samedi soir à l’avant-port de Lorient, au départ de la goélette scientifique Tara. Le voilier est parti sous les applaudissements et sous un grand soleil vers 18 h 45.
Son équipage a crié « Merci aux Lorientais » avant de larguer les amarres. Destination Miami, après une bénédiction à Groix.
« Nous sommes à 11 000 km des premiers récifs coralliens que nous allons étudier », précise Samuel Audrain, l’un des deux capitaines.
La goélette océanographique « Tara » part de Lorient ce samedi pour un périple de 100 000 km en Asie-Pacifique destiné à l’étude des coraux. Sa mission va durer deux ans et demi. Retour prévu en 2018 à Lorient, son port d’attache depuis dix ans.
Avant le départ, l’équipage a eu le droit à un haka marquisien traditionnel porte-bonheur.
Liens/Vidéos : http://www.ouest-france.fr/bretagne/lorient-56100/tara-est-partie-rendez-vous-en-2018-lorient-4258894
« Tara » au cœur des coraux du Pacifique
LE MONDE | • Mis à jour le | Par Martine Valo
Tara reprend la mer. La célèbre goélette doit quitter son port d’attache de Lorient (Morbihan) le 28 mai. Le temps d’une petite cérémonie devant l’île de Groix, et la voilà qui lèvera l’ancre pour une expédition de deux ans. Le navire ambitionne cette fois de traverser l’Atlantique et d’emprunter le canal de Panama pour aller ausculter les récifs coralliens du Pacifique. Environ 100 000 kilomètres, au bas mot, durant lesquels 70 scientifiques venus de huit pays vont se succéder à son bord pour étudier la biodiversité liée aux coraux, et la capacité de ces organismes à résister aux stress dus aux activités humaines et au changement climatique.
« Il existe peu de navires de recherche marine capables d’effectuer des missions de plus d’un mois d’affilée, assure Romain Troublé, directeur de la Fondation Tara Expéditions. Nous allons être les premiers à mener une mission de cette ampleur, à traverser tout le Pacifique, une partie du monde où se trouvent plus de 40 % des récifs coralliens de la planète ! » Nouvelle hélice, moteurs neufs, équipements pour la plongée sous-marine : l’ancien bateau de l’explorateur Jean-Louis Etienne a bénéficié d’un lifting. Conçu pour les grands froids, il a été équipé de climatisation dans les laboratoires-chambres de stockage – pas dans les cabines des participants.
« On va étudier qui vit avec qui : les bactéries, les virus, le plancton »
« Avec son fond plat, Tara va pouvoir pénétrer dans les lagons, s’enthousiasme Romain Troublé. On va étudier qui vit avec qui : les bactéries, les virus, le plancton. Et puis le rôle des poissons associés : est-ce que le corail dépérit s’il n’est plus nettoyé par eux ? Observer la biodiversité en surface, prélever des échantillons d’eau, aussi, mesurer si le bruit autour des récifs est différent d’un bout à l’autre du Pacifique… Nous allons également effectuer des carottages pour remonter le temps. »
La première année, la traversée va mener l’équipe de Colombie au Japon, en passant par l’île de Pâques, la Polynésie, Wallis-et-Futuna, la Micronésie…, tandis qu’elle devrait croiser dans les parages de la Nouvelle-Guinée et de la Chine – si tout va bien – en 2018. Une perspective alléchante, quand on sait que le nombre d’espèces de coraux augmente de l’est à l’ouest du Pacifique. « Jusqu’à présent, on en a recensé environ 1 500 dans le monde », indique Serge Planes, directeur de recherches au CNRS.
A la tête d’un laboratoire rattaché au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) basé à Moorea, en Polynésie française, et à l’université de Perpignan, il est l’un des deux coordonnateurs de l’expédition scientifique.
« A elles seules, précise le chercheur, l’Indonésie, l’Australie et les Philippines concentrent la moitié des récifs coralliens. »
Plus de 30 000 échantillons en deux ans
Ces organismes couvrent moins de 0,2 % de la superficie des océans, mais ils abritent 30 % de la biodiversité marine connue. L’idée de leur consacrer une grande expédition s’était déjà imposée à l’équipe de Tara, au moment où elle mettait fin à sa quête de planctons, en 2013, après quatre années à sillonner la haute mer. Lors de ce voyage-là, une nouvelle espèce avait été découverte dans les îles Gambier, aussitôt baptisée Echinophyllia tarae. Mais il a fallu deux années de discussions et de mise au point des différents protocoles entre tous les collaborateurs, biologistes et océanographes issus de 18 institutions et laboratoires de recherche, pour établir le programme scientifique de cette traversée, dont le budget atteint 5 millions d’euros.
Comme pour le plancton, les échantillons – il est prévu d’en collecter plus de 30 000 en deux ans – seront expédiés par avion tous les trois mois en France. Ils rejoindront le Génoscope du Commissariat à l’énergie atomique, à Evry (Essonne), pour le travail de séquençage, dont les résultats définitifs pourraient prendre une dizaine d’années.
Le corail, un ensemble complexe
Des recherches sur le corail, il s’en mène déjà beaucoup, en particulier en Australie. Tara table sur son approche comparative à grande échelle pour se distinguer. A chaque étape, dans près de quarante archipels, deux coraux scléractiniaires (Porites lobata et Pocillopora meandrina) et un corail de feu (Millepora platyphylla) vont être étudiés selon un protocole identique. En parallèle, un poisson, le chirurgien bagnard (Acanthurus triostegus), sera systématiquement récolté. « C’est le manini, un petit poisson que l’on trouve dans à peu près tous les récifs, dit Serge Planes à propos de ce familier dont il a longuement étudié la génétique. Nous allons nous concentrer sur les bactéries, virus, champignons, protides et protistes qu’il a sur son mucus et qui le protègent. » Le corail est un ensemble complexe. L’holobionte désigne les organismes qui le composent : l’animal – une méduse –, le végétal – une algue de la famille des zooxanthelles –, qui colonise l’intérieur de ses tissus, mais aussi toute une microfaune qui le recouvre et l’habite.
Au-delà de sa dimension scientifique, cette aventure de la goélette – comme ses onze missions précédentes –, a pour objectif de sensibiliser le public aux enjeux de l’environnement marin. Les modèles existants permettent d’évaluer à 20 % les coraux détruits depuis les années 1950-1960. 20 %, à nouveau, sont directement en danger, et pourraient disparaître d’ici à 2050. Le réchauffement des températures et l’acidification de l’océan ne sont pas seuls en cause. Selon les experts, la détérioration des coraux est essentiellement due à des conséquences plus localisées des activités humaines, notamment à la sédimentation engendrée par les effluents de l’agriculture qui finissent en mer.
Liens/Vidéos : http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/05/23/tara-au-c-ur-des-coraux-du-pacifique_4924820_1650684.html
http://www.la-croix.com/France/Tara-part-rencontre-coraux-Pacifique-2016-05-28-1200763501
Etienne Bourgois : « Tara Pacific, c’est un budget annuel de 2 millions d’euros »
Directeur général du groupe de mode agnès b., Etienne Bourgois est également président de la Fondation Tara Expéditions. A la veille du départ de Tara Pacific pour deux ans et demi d’expédition scientifique, retour sur une aventure lancée en 2003.
Vous êtes à l’origine des expéditions Tara. Comment cette aventure a-t-elle commencé ?
La mer est une de mes passions. Mon grand-père était plaisancier, j’ai donc la chance de faire du bateau depuis mon enfance. Dans les années 1990, j’ai rencontré et je suis devenu ami avec l’explorateur Bernard Buigues, qui s’occupait, déjà à l’époque, d’organiser la logistique pour des bases scientifiques polaires. Un jour, il m’a emmené avec lui sur la base arctique de Barneo, à une centaine de kilomètres du pôle. Et ça a été un choc pour moi : la banquise, le jour permanent, cette transparence… J’ai découvert la Nature à l’état brut à ce moment-là.
Racontez-nous votre « rencontre » avec le bateau Tara.
C’était en 2003. La goélette polaire était à quai depuis deux ans à Newport, aux Etats-Unis, depuis l’assassinat du marin explorateur néo-zélandais Peter Blake par des pirates sur le fleuve Amazone. Quelques années plus tôt, il l’avait rachetée à Jean-Louis Etienne, le médecin explorateur qui avait été à l’initiative de sa construction en 1989.
Je suis donc allé voir le bateau. L’équipier que j’ai rencontré m’en a dressé un tableau noir. Mais j’ai pensé qu’après des travaux de remise en état, il pourrait repartir en mer. De retour en France, j’ai donc, avec Agnès [la styliste Agnès Troublé, mère d’Etienne Bourgois et créatrice de la marque agnès b., NDLR], fait une offre d’achat. Notre projet à venir et sa philosophie ont plu à Lady Blake. Nous étions prêts à payer cash. Notre offre a été retenue.
Fin novembre 2003, le bateau est arrivé à Camaret, dans le Finistère. Le rêve, qui s’était arrêté trop tôt, pouvait reprendre.
Depuis 2003, il y a eu dix expéditions Tara. Quelle a été la première d’entre elles ?
La 4e Année polaire internationale, qui s’est tenue en 2007, était en cours de préparation. Au niveau environnemental, j’ai pensé qu’il fallait faire quelque chose, qu’il fallait « renverser la table ».
Je me suis énormément impliqué dans le projet, j’ai travaillé avec des scientifiques pour établir le programme de cette première expédition au Groenland. J’avais repris le bateau pour faire une dérive polaire – renouant ainsi avec sa première fonction. Nous avons dû négocier avec les Russes, très jaloux de leur présence dans la zone arctique. Ils ont posé leurs conditions, nous ont imposé un Russe au sein de l’expédition. Je suis même allé jusqu’au niveau de la Douma. Ils ont tout fait pour qu’on échoue. Mais ils n’ont pas réussi…
L’expédition est partie en juin 2006. Dans ce genre d’aventure, vous savez quand vous partez, mais vous ne savez pas exactement quand vous revenez. Le bateau a subi sept « agressions » de la banquise, on s’est dit au bout d’un mois que la mission était en échec. Et puis finalement, non. Au total, l’aventure a duré 507 jours. L’expédition s’est déroulée sous la direction du programme Damocles , avec Jean-Claude Gascard, océanographe émérite au CNRS.
Ca a été une très belle mission scientifique. Même si je pense qu’avec plus de techniciens scientifiques, notamment, on aurait pu faire encore plus de choses…
Tara Pacific part le 28 mai pour deux ans et demi d’exploration scientifique. Comment le projet est-il financé ?
Tara Pacific, c’est un budget annuel de 2 millions d’euros. Soit, pour donner un ordre de grandeur, l’équivalent d’un projet du Vendée Globe. A titre personnel, je donne 100.000 euros. Agnès, via sa structure, apporte 600.000 euros. Et la filiale japonaise d’agnès b. fournit 100.000 euros en sponsoring. Les 50% restants sont assurés par un certain nombre d’autres partenaires – y compris scientifiques – qui s’engagent bien au delà de l’aspect financier, parmi lesquels la Prince Albert II of Monaco Foundation, la Fondation Veolia, Serge Ferrari et Lorient Agglomération.
A ces montants, s’ajoutent les dépenses nécessaires à la remise en état du bateau et la préparation de l’expédition, qui a duré 18 mois. Cela représente 300.000 euros, une somme payée pour l’essentiel par Agnès.
Vous avez créé une fondation pour les projets Tara. Pourquoi ?
Avec 95% de mon temps consacré à agnès b., j’avais trop peu de temps pour Tara… Après sept ans à assurer la direction opérationnelle de Tara Expéditions, j’ai finalement laissé la main à Romain Troublé. Il est aussi directeur général de la Fondation Tara Expéditions , dont je suis le président. Concernant la gouvernance, les choses sont maintenant plus claires et transparentes. En la matière, nous devons être exemplaires.
Le statut de fondation permet par ailleurs de recevoir des fonds publics de tout type d’organisme. Y compris les collectivités locales qui, jusqu’alors, ne pouvaient nous accorder simplement des financements. Le fait que la fondation soit reconnue d’utilité publique doit aussi, avec l’avantage fiscal qui y est associé, faciliter les dons des particuliers. Je tiens beaucoup à ce soutien, c’est une forme d’engagement environnemental.
Vous êtes, à titre personnel, très impliqué dans la lutte pour l’environnement.
Oui, nous avons atteint un vrai degré d’urgence pour faire que la Terre reste vivable pour les Hommes. Il faut mettre en place une politique commune, bien au-delà de la France, en matière de consommation, d’énergie, de solutions basées sur la Nature.
Mon travail avec les chercheurs, dans le cadre des expéditions Tara, m’a particulièrement sensibilisé à ces problématiques. Il faut essayer de rassembler le plus d’éléments pour comprendre. Et, au-delà des aspects scientifiques, Tara est très tourné vers le grand public. Pendant nos expéditions, on fait des ateliers, on va dans les écoles, on va à la rencontre des gens. Et la présence systématique d’artistes permet aussi de sensibiliser et de travailler différemment.
Vous êtes patron d’agnès b. Quelles actions menez-vous pour l’environnement ?
Nous essayons de gâcher le moins possible. Nous agissons sur des aspects très quotidiens de notre fonctionnement : fontaines à l’eau de la ville et lumières à extinction automatique dans nos locaux, sacs en tissu pour les clients, emballages recyclables…
Nous sommes aussi très attentifs à la manière dont nous fabriquons – en Europe uniquement pour les marchés européens, en Asie pour les marchés asiatiques – nos produits. Mais certaines de nos marchandises voyagent encore par avion. Cela reste notre point noir.